mirage

Mirage Blues



Une fois sur le pont promenade, Élise contempla le scintillement du clair de lune à la surface des flots. Ce sillage d’or et d’argent lui apparut tel un tapis qu’auraient déroulé des créatures marines invisibles, afin que l’Île-de-France ne perde jamais le cap jusqu’à New York. Le ciel arborait un plumetis d’étoiles sans l’ombre d’un nuage, augurant une traversée nocturne olympienne. La fraîcheur de l’air océanique lui donna des frissons. Elle s’enveloppa aussitôt dans son étole de velours vermillon. Soudain, elle perçut des claquements de talons empressés sur le pont inférieur. Elle se pencha à la rambarde et crut reconnaître le couple qu’elle avait remarqué à l’embarquement. Essoufflée, la jeune femme riait aux éclats en courant, tandis que son amoureux de G.I., tout aussi hilare, lui emboîtait le pas et tentait de la rattraper. Il parvint à la saisir par le poignet ; elle virevolta sur ses talons et fut attirée comme un aimant tout contre lui. Il la couvrit de baisers enivrants, lui susurra des tendresses à l’oreille, puis l’entraîna sur un air de Lindy Hop1 qu’il chantonna, sans même qu’elle ait eu le temps de dire ouf. Après plusieurs minutes de danse tourbillonnante, la jeune femme repoussa son partenaire par jeu, s’adossa au garde-corps et renversa la tête en arrière. Il se jeta aussitôt sur elle et lui dévora la gorge de baisers brûlants. Un tantinet chatouilleuse, elle ne souffrit que quelques instants cette exquise torture avant de pépier de plaisir. Il l’étreignit ardemment, tout comme l’aurait fait Bradley dans les mêmes circonstances. Cette pensée soudaine obombra l’humeur déjà quelque peu morose d’Élise.

« Voilà un bonheur à la fois simple et précieux auquel je n’aurai plus jamais droit », déplora-t-elle dans le secret de son cœur.


1 - Danse née à Harlem au milieu des années 1920, dérivée du swing et proche du boogie-woogie, considérée comme étant l’ancêtre du rock.
 

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